Dans notre mot de l’année dernière, nous abordions la pandémie de COVID-19 qui venait alors de faire irruption dans notre conscience collective. Un an plus tard, une grande partie du monde est plongée dans une autre vague brutale, une issue qu’avaient prédite les expert-es en santé publique et qui aurait pu et dû être évitée si les décideurs et décideuses politiques avaient accepté d’agir plus tôt et pris les droits humains au sérieux.
Cela ne fait que souligner les leçons à tirer, dont plusieurs ont été mises en relief initialement par la pandémie de VIH, mais trop souvent ignorées. La pandémie de COVID-19 démontre une fois de plus que la santé publique est fondamentalement liée aux droits humains et que le fait de ne pas respecter et protéger les droits – et, surtout, de ne pas prendre de mesures positives pour les réaliser – entraîne davantage d’infections, de maladies et de décès. La COVID-19 diffère évidemment du VIH à bien des égards, mais tous deux exploitent les lignes de faille des inégalités sociales. La seule façon de surmonter ces deux pandémies est de passer aux actes pour respecter, protéger et réaliser les droits humains.
Cela signifie garantir la liberté d’expression : le fait de réduire au silence les défenseur(-euse)s de la santé entraîne de sérieux retards dans la réponse. Cela signifie également réaliser le droit à la santé par un accès équitable aux outils de prévention, y compris les vaccins, de même qu’aux tests et aux traitements. Cela signifie garantir les droits des travailleur(-euse)s à un lieu de travail sûr et à des conditions de travail équitables, y compris des congés de maladie payés. Cela signifie mettre fin à la pauvreté, qui laisse aux gens moins d’options pour protéger leur santé. Cela signifie aussi s’attaquer au racisme systémique qui entrave l’accès aux soins et aux traitements. Cela signifie qu’il faut une responsabilisation concernant l’âgisme et la discrimination fondée sur la capacité physique qui font que les maisons de soins souffrent de sous-financement chronique et d’un manque de personnel, et que certaines des personnes les plus vulnérables tombent malades et meurent de la COVID-19.
L’importance des droits humains dans une réponse efficace à une crise de santé publique a été constatée au début de la pandémie de VIH, à l’aube des années 1980; ce qui était vrai à l’époque l’est encore 40 ans plus tard, avec la COVID-19.
Nous avons souligné ces questions dans notre document Aplanir l’inégalité, publié rapidement en avril de l’année dernière, alors que les inégalités dans la réponse mondiale à la COVID-19 devenaient évidentes. Nombre de ces préoccupations persistent – notamment quant aux cas de contrôle policier souvent discriminatoire dans le contexte de la pandémie et quant à l’iniquité d’accès à la prévention, aux soins et aux traitements. Pourtant, on constate une évolution positive sur plusieurs fronts connexes. La COVID-19 demeure dévastatrice, mais a également mis en lumière des changements structurels qui s’imposent de toute urgence.
Nous constatons des progrès sur le front des politiques en matière de drogues, avec la demande par Vancouver d’une exemption locale qui décriminaliserait effectivement la possession simple – si elle est bien faite. D’autres municipalités, voire des provinces, pourraient emboîter le pas : au cours de l’année écoulée, le Gouvernement de la Colombie-Britannique a officiellement fait part de son intérêt, le conseil municipal de Montréal a approuvé la décriminalisation (tout comme de nombreuses municipalités de plus petite taille), de même que le Conseil de santé de Toronto (à trois reprises), tout en exhortant la ministre fédérale de la Santé à accorder des exemptions.
Les appels à réduire l’occupation carcérale sont en plein essor, car les prisons surpeuplées deviennent des incubateurs à COVID-19. Les autorités correctionnelles du Canada ont répondu à une certaine pression à cet égard – mais comme nous l’avons vu avec des défis de santé publique tels que le VIH et le VHC, leur réponse est encore trop passive. Entre-temps, la COVID-19 a été cyniquement utilisée comme prétexte pour retarder la mise en œuvre des programmes d’échange de seringues et d’aiguilles en prison – une crise de santé publique et de droits humains est utilisée pour tenter de justifier l’inaction continue devant une autre.
L’accès équitable à des médicaments abordables – une question de vie ou de mort que les militant-es de la lutte contre le VIH ont inscrite à l’ordre du jour mondial il y a nombre d’années – fait à nouveau la une des journaux. Des millions de personnes vont mourir pendant que les vaccins sont en retard dans les pays les plus pauvres, ce qui montre une fois de plus l’urgence de s’assurer que les brevets et les profits n’empêchent pas de sauver des vies. Les millions d’infections et de décès évitables dus au VIH n’ont pas encore suffi, semble-t-il, à briser cette résistance mais la COVID-19 y parviendra peut-être.
Il est donc approprié que le thème du rapport annuel de cette année soit Un moment de percée. Les actions que nous avons menées jusqu’ici ont ouvert la voie à des changements qui n’ont que trop tardé. La COVID-19 est peut-être la loupe qui a révélé au reste de la société l’importance du respect, de la protection et de la réalisation des droits humains dans la réponse à une crise de santé publique. Nous ne pouvons pas laisser passer ce moment sans faire pression pour des changements plus concrets et durables.
C’est aussi un moment de changement pour nous au Réseau juridique VIH. Après près de 28 années au service du Réseau juridique, à un titre ou à un autre, dont plus de la moitié à la direction générale, Richard se retirera en juillet. Mais le travail se poursuivra sous une nouvelle direction aguerrie. Notre équipe sera dirigée par Sandra Ka Hon Chu et Janet Butler-McPhee en tant que codirectrices générales et nous sommes ravi-es que le Réseau juridique VIH soit entre des mains aussi compétentes.
Au même moment, le mandat de Ron comme président du Réseau juridique VIH prendra fin. Comme il le dit lui-même : « Je suis incroyablement fier du travail que nous accomplissons et je suis toujours étonné de l’énergie collective requise pour faire en sorte que nous ne nous reposions pas avant d’avoir obtenu un changement durable. Je quitte peut-être le conseil d’administration, mais mon engagement envers le Réseau juridique reste intact. »
L’année à venir marque également la fin de notre plan stratégique actuel, Respecter, protéger et appliquer. Nous sommes enthousiastes à l’idée de définir la prochaine phase de notre travail dans le contexte d’une nouvelle Stratégie mondiale de lutte contre le sida qui, à ce jour, est la plus axée sur les droits humains en tant qu’élément essentiel de la réponse au VIH. Faisons en sorte que cette période de l’histoire soit un Moment de percée au terme d’un solide Historique d’action.
Dans la solidarité,
Ron Rosenes
président du conseil d’administration
Richard Elliott
directeur général