Par Richard Elliott, directeur général, Réseau juridique canadien VIH/sida
13 septembre 2016
Cette semaine, le Secrétaire général des Nations Unies, Ban Ki Moon, est censé rendre public, au siège des Nations Unies, à New York, le très attendu et déjà controversé rapport de son Panel de haut niveau sur l’accès aux médicaments.
Le Secrétaire général a nommé son Panel de haut niveau sur l’accès aux médicaments en novembre 2015, en réponse à une recommandation de la Commission mondiale sur le VIH et le droit – qui avait déjà formulé une virulente critique de l’inégalité mondiale actuelle en matière d’accès aux médicaments. La Commission a jeté le blâme en partie sur les règles internationales et nationales concernant les brevets et sur d’autres aspects de la propriété intellectuelle, y compris des règles plus contraignantes qui sont négociées dans des traités commerciaux internationaux successifs, qui créent et maintiennent des obstacles à des médicaments plus abordables. Ces obstacles aggravent une crise continue de santé publique et de droits de la personne, en particulier dans des pays à revenu faible et moyen, et imposent des fardeaux de plus en plus insoutenables aux pays à revenu élevé.
Le Panel était mandaté de recommander des remèdes à l’« incohérence » entre les droits humains et la santé publique d’une part, et les règles de propriété intellectuelle d’autre part (qui permettent et prolongent l’existence des brevets des sociétés pharmaceutiques et des monopoles de données). Le Panel, présidé par une ancienne présidente de la Suisse et un ancien président du Botswana, est composé de nombreuses éminentes personnalités.
Il est conseillé par un Groupe consultatif d’experts. (J’ai eu l’honneur de siéger à ce groupe consultatif et de rédiger un des documents de travail portant sur les droits de la personne, la propriété intellectuelle et le commerce international, à l’intention du Panel; de plus, il a été conseiller auprès de la Commission mondiale sur le VIH et le droit.)
Le rapport du Panel de haut niveau sera publié à quelques jours de la tenue de deux événements internationaux fort importants pour la santé mondiale, dont l’un au Canada :
- Le premier est la Conférence de reconstitution des ressources du Fonds mondial, à compter de ce vendredi 16 septembre, à Montréal.
Le Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme est le plus grand et le plus important mécanisme de financement multilatéral pour la santé mondiale et il constitue un élément clé de la réponse mondiale à ces trois épidémies – les programmes qu’il a financés ont déjà sauvé plus de 20 millions de vies. Le Canada a annoncé qu’il allait augmenter de 20 % sa contribution financière au Fonds mondial pour les trois prochaines années.
Le financement d’ensemble pour la prévention et le traitement du VIH, de la tuberculose et du paludisme semble cependant stagner et en voie de ne pas être à la hauteur des ressources nécessaires à l’atteinte des ambitieuses cibles de prévention et de traitement qu’il faut atteindre pour mettre fin à ces épidémies d’ici 2030 – l’un des objectifs mondiaux adoptés l’an dernier à l’Assemblée générale des Nations Unies. De plus, l’impact qu’auront les ressources qui sont disponibles – p. ex., combien de personnes pourront être traitées et combien d’infections pourront être évitées – dépend en partie de la question de savoir si ces fonds peuvent être utilisés pour l’achat de médicaments génériques à coût moins élevé ou si, en raison des règles de brevets ou d’autres obstacles, l’argent doit être dépensé pour acquérir des médicaments de marque qui sont dispendieux.
- L’autre événement aura lieu la semaine prochaine, lorsque les États membres se réuniront à New York pour un important Dialogue de haut niveau des Nations Unies sur la résistance aux antimicrobiens (le mercredi 21 septembre).
À défaut de développer de nouveaux médicaments, les échecs thérapeutiques deviendront de plus en plus fréquents, en présence d’infections résistantes aux médicaments. On ne sait pas si le régime mondial actuel en matière de propriété intellectuelle est adapté à l’objectif de stimuler l’innovation pharmaceutique nécessaire afin de répondre à cette menace; et, de certaines façons perverses, des brevets et monopoles de données qui sont indûment restrictifs, en vertu du système en vigueur, contribuent au développement de pathogènes résistants aux médicaments. Les recommandations du Panel en ce qui concerne les règles de propriété intellectuelle dans le domaine pharmaceutique seront donc d’une grande pertinence à cet enjeu également.
Par ailleurs, le rapport du Panel de haut niveau sera publié en cette période où l’opposition s’accroît à l’égard d’accords commerciaux comme le Partenariat transpacifique – qui pourrait requérir, en matière de brevets pharmaceutiques, des règles qui vont au-delà de celles qui sont déjà acceptées à l’Organisation mondiale du commerce et qui élargissent et prolongent encore les monopoles des sociétés pharmaceutiques sur les médicaments, tout en restreignant la capacité des gouvernements de légiférer ou d’agir d’autre manière dans l’intérêt public (p. ex., afin de prévenir l’établissement de prix excessifs).
Aucun pays n’a encore ratifié le PTP – qui émerge, comme il se doit, en tant qu’enjeu controversé dans la campagne électorale des États-Unis, le pays qui a exercé les plus fortes pressions à l’appui des revendications des sociétés pharmaceutiques. Au Canada, le premier ministre Trudeau et la ministre du Commerce international, Chrystia Freeland, affirment qu’ils procèdent à une consultation auprès des Canadiens et un comité parlementaire a tenu ces derniers mois des audiences, mais les signaux sont clairs : le gouvernement a l’intention de ratifier le traité s’il arrive à trouver une façon de le « vendre » à la population canadienne.
L’organisme humanitaire international Médecins sans frontières a décrit le PTP comme étant l’entente commerciale la plus préjudiciable de toute l’histoire en matière d’accès aux médicaments et de recherche et de développement biomédicaux. Des organismes de la société civile du Canada ont exhorté le premier ministre Trudeau et la ministre Freeland à rejeter le PTP tant qu’il inclura des dispositions néfastes comme celles qui accroissent encore les monopoles des sociétés pharmaceutiques et intègrent davantage certaines règles dangereuses et antidémocratiques relativement aux rapports entre les investisseurs et les États, qui permettent aux sociétés commerciales de poursuivre des gouvernements devant des tribunaux spéciaux s’ils interfèrent avec les profits escomptés des sociétés commerciales en légiférant pour protéger l’intérêt public.
On s’attend à ce que le Panel de haut niveau du Secrétaire général offre un certain nombre de recommandations concernant les préoccupations que soulève la présente prolifération de tels accords commerciaux présentant des règles de plus en plus strictes pour le bien des sociétés pharmaceutiques mais au détriment de la santé publique et au mépris des droits de la personne.
Le rapport final sera accessible sur le site Web du Panel lorsque le Secrétaire général en aura fait le dévoilement. De plus, le Réseau juridique fera une déclaration concernant les recommandations du Panel, une fois le rapport rendu public.
Les actions recommandées par le Panel de haut niveau, de même que la question de savoir si les gouvernements appliqueront ces recommandations et, le cas échéant, la façon dont ils le feront, seront fatidiques pour la santé mondiale – car elles détermineront si les médicaments nécessaires seront développés, dans l’avenir, s’ils seront efficaces pour traiter les maladies, et qui pourra y avoir accès, tant dans les pays riches que dans les pays pauvres. Bref, il s’agit de questions de vie ou de mort pour des millions de personnes.