Par Richard Elliott, directeur général
29 avril 2016
Ce fut un épisode surréel, aux Nations Unies à New York la semaine dernière – un simulacre de consensus, et un terrible manquement au devoir de la part de certains gouvernements du monde. Paradoxalement, je suis pourtant parti de là, à la fin de la semaine, profondément encouragé.
Le 19 avril, le président a ouvert la Session extraordinaire de l’Assemblée générale des Nations Unies (UNGASS) consacrée au « problème mondial des drogues ». Plusieurs avaient espéré que le processus de l’UNGASS soit une occasion de débat large et ouvert sur ce qui fonctionne et ne fonctionne pas, dans la réponse aux drogues dans le monde. De fait, plus de 1 000 leaders de partout dans le monde avaient demandé à ce que les Nations Unies ne ratent pas cette occasion historique de mettre fin à la guerre ratée aux drogues, qui a conduit à un tel gaspillage de ressources, à d’horribles violations des droits humains et à d’affreux préjudices pour la santé publique, comme celui de catalyser les épidémies du VIH et de l’hépatite C. Or, quelques moments plus tard, l’Assemblée générale a adopté par consensus le texte d’une résolution négociée, avec une acrimonie considérable, un mois plus tôt à la Commission des stupéfiants (CS) des Nations Unies à Vienne.
Quel échec retentissant, en 2016, que ce document final officiel — comme l’ont déploré des organismes de la société civile et la Commission mondiale des politiques sur les drogues. On échoue à y reconnaître le gâchis résultant de décennies de prohibition punitive ainsi que le corpus croissant de preuves que d’autres approches plus humaines sont beaucoup plus efficaces. Bien sûr, ce dénouement n’est pas étonnant compte tenu des efforts réussis d’un certain nombre de pays afin de bloquer ou d’affaiblir considérablement tout contenu engageant les pays à des approches de réduction des méfaits ou de respect des droits humains. (Nous tournons le regard vers toi, Russie — un des principaux agresseurs.)
Néanmoins, en regardant tout cela avec un certain recul, je considère que le processus de l’UNGASS a été un succès — parce que cela a mis en évidence, de façon convaincante, que le supposé « consensus » international pour la prohibition des drogues, incarné bien concrètement dans les trois traités onusiens sur le contrôle des drogues, tombe en morceaux.
Toutes les agences clés des Nations Unies ont fait des contributions formelles aux délibérations de l’UNGASS, et de façon prédominante pour l’abandon de la prohibition entourant les drogues et pour remplacer celle-ci par des approches fondées sur les données probantes, centrées sur la santé et respectueuses des droits humains — y compris la décriminalisation de la possession de drogues à des fins de consommation personnelle (comme ce fut fait avec succès dans plusieurs pays) et la mise à l’échelle des services de réduction des méfaits et autres éléments relevant de la santé.
Un nombre impressionnant de pays sont montés sur la tribune devant l’Assemblée générale afin de critiquer le document final et ses lacunes — y compris sa faiblesse quant à la réduction des méfaits et aux droits humains. Comme nous l’y avions encouragé, le Canada a fait partie des 58 pays signataires d’une déclaration commune, présentée par l’Union européenne, dénonçant la peine de mort pour des délits liés aux drogues, comme étant une violation du droit international des droits humains et réclamant un moratoire sur son application.
Et bien sûr, à ce chapitre et d’autres façons, la mobilisation des militants de la société civile a eu un impact — comme ce fut sans contredit évident dans l’engagement du Canada.
Ces derniers mois, j’ai eu l’occasion de rencontrer à trois reprises la Dre Jane Philpott, ministre de la Santé du Canada — et chaque fois, la nécessité que le Canada modifier son approche aux politiques sur les drogues, à l’échelon national et international, a été à l’ordre du jour. Nous avons collaboré avec la Coalition canadienne des politiques sur les drogues et avec d’autres alliés à adresser au nouveau gouvernement un mémoire contenant 10 recommandations que le Canada doit faire valoir dans les négociations à l’UNGASS — des recommandations appuyées par 100 organismes à travers le pays qui sont reflétées en grande partie dans les positions du Canada à l’ONU. De plus, la semaine avant l’UNGASS, dans notre article d’opinion pour The Hill Times, nous avons décrit la nouvelle approche aux politiques sur les drogues que le Canada devrait adopter, à la fois par des réformes nationales essentielles et par un leadership mondial dans le plaidoyer pour des réformes longuement attendues des traités internationaux de contrôle des drogues.
Et c’est ainsi qu’à la réunion de la CS à Vienne en mars 2016, et à l’Assemblée générale de l’ONU à New York le mois suivant, le Canada a clairement exprimé son appui de principe à des politiques sur les drogues qui respectent les droits humains ainsi qu’à la réduction des méfaits — y compris les services de consommation supervisée, les programmes de seringues et la naloxone pour prévenir les décès par surdose. Par ailleurs, comme de nombreux médias l’ont rapporté, la ministre Philpott a réitéré dans son discours à l’Assemblée générale l’engagement réjouissant du Canada à aller de l’avant avec la légalisation et la réglementation du cannabis et a annoncé un échéancier ambitieux – le dépôt de la nouvelle loi est prévu d’ici le printemps prochain. (Visionnez la vidéo intégrale ou un extrait prononcé en français et prolongé par des sous-titres en français, ou lisez le texte complet du discours de la ministre.)
Ce sont là des signes encourageants d’une nouvelle approche aux politiques sur les drogues. Mais nous avons à présent besoin que le gouvernement fédéral apporte des changements concrets aux lois et politiques :
- Abroger la loi mal conçue du gouvernement antérieur qui pose des obstacles injustifiés au fonctionnement des services de consommation supervisée comme l’Insite de Vancouver.
- Mettre en œuvre des programmes de seringues dans les prisons fédérales.
- Abolir les peines minimales obligatoires pour les infractions liées aux drogues.
- Décriminaliser la possession de toutes les drogues pour la consommation personnelle.
La guerre aux drogues a échoué. Le consensus prohibitionniste se désintègre. Malgré tous les efforts des obstructionnistes, le vent tourne.