Peurs confirmées : l’accès aux médicaments et le Partenariat transpacifique

le 13 novembre 2015

La semaine dernière, le texte de l’accord de Partenariat transpacifique (PTP) a enfin été rendu public. Comptant plus de 6 000 pages, le PTP soulève une foule de préoccupations sérieuses quant à son impact dans tous les domaines – de la protection de l’environnement jusqu’aux droits des travailleurs et autres droits humains, en passant par la confidentialité sur Internet, la salubrité alimentaire et plus encore… y compris l’accès à des médicaments abordables.

L’alarme avait déjà été sonnée avant la publication du texte final : Médecins Sans Frontières a qualifié le PTP d’« entente commerciale la plus préjudiciable de toute l’histoire en matière d’accès aux médicaments » – non seulement pour les pays négociateurs, mais pour plusieurs autres également, puisque le PTP est envisagé comme un modèle pour de futurs accords commerciaux à l’échelle mondiale.

Quelle est la menace?

Comme nous l’avons expliqué dans une lettre ouverte au gouvernement fédéral, divers aspects du PTP soulèvent des préoccupations pour l’accès aux médicaments :

  • De nouvelles règles de propriété intellectuelle (PI) sur les brevets ainsi que des règles sur l’« exclusivité des données » touchant les informations soumises en vue de l’approbation de commercialisation de médicaments seraient encore plus restrictives que les règles actuelles de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Elles entraveraient et retarderaient encore plus la concurrence des médicaments génériques, qui est essentielle à faire baisser les prix et à rendre les médicaments accessibles à beaucoup plus de gens. Par ailleurs, les géants pharmaceutiques pourraient se prévaloir de nouvelles dispositions plus strictes sur l’application des droits privés de PI afin de tenter de nuire à la concurrence – notamment par des injonctions, des amendes plus sévères pour violation de brevet et diverses mesures frontalières qui pourraient interférer avec le transit de médicaments génériques légitimes sur la seule base de soupçons de violation de droits de propriété intellectuelle allégués par les géants pharmaceutiques.
  • Des dispositions de soi-disant « transparence » créeraient plus d’occasions pour les sociétés pharmaceutiques de contester les décisions de gouvernements concernant le remboursement des médicaments par leurs régimes publics d’assurance maladie, tout en permettant l’intensification du marketing direct des sociétés pharmaceutiques auprès des consommateurs.
  • Enfin, le PTP élargirait aux droits de PI les soi-disant règles de « résolution de conflits investisseur-État ». Cela permettrait aux sociétés pharmaceutiques de poursuivre des gouvernements qui interfèrent avec leurs « attentes de profits » par des lois d’intérêt public ou des règlements sur des enjeux comme les brevets, l’utilisation des données soumises en vue de l’approbation de commercialisation de médicaments, et l’établissement des prix de produits pharmaceutiques, y compris les prix auxquels les médicaments sont couverts par les régimes publics d’assurance maladie.

Le temps d’agir

Il est encore temps d’éviter ce désastre de santé publique et de droits humains.

Le PTP doit être ratifié et mis en œuvre par les 12 pays négociateurs, avant d’entrer en vigueur. Il est donc d’autant plus primordial que les gouvernements entendent la voix du public, dont les droits, la santé et les vies seront affectées par les dispositions du PTP.

Cela inclut le nouveau gouvernement à Ottawa. Lors de la campagne électorale, le premier ministre Trudeau et le Parti libéral ont déclaré appuyer en principe le PTP – mais le parti a aussi affirmé qu’il doit « tenir sa parole et défendre les intérêts du Canada lors de ces négociations ».

Ces intérêts incluent clairement l’accès à des médicaments abordables. Les Canadien-nes paient déjà leurs médicaments à des prix qui figurent parmi les plus élevés au monde, et les dépenses pour des produits pharmaceutiques constituent l’un des trois principaux éléments de nos dépenses en santé, année après année. Il n’est donc pas étonnant que les Canadien-nes aient exprimé à maintes reprises leur opposition à des brevets de plus longue durée pour les sociétés pharmaceutiques.

Les « intérêts du Canada » incluent également un engagement à mettre fin à l’écart tragique qui subsiste dans l’accès aux médicaments à l’échelon mondial, accablant particulièrement les pays en développement qui sont aux prises avec de multiples défis majeurs de santé publique – y compris le VIH (mais sans s’y limiter). Cet engagement se reflète dans l’appui massif – par 80 % des Canadien-nes interviewés – à l’égard d’une rectification des lacunes du Régime canadien d’accès aux médicaments (RCAM). De telles modifications étaient et demeurent essentielles à ce que le RCAM puisse remplir la promesse unanime du Parlement (il y a une décennie!) d’aider les pays en développement à obtenir des médicaments génériques abordables.

Malheureusement, un projet de loi visant à rectifier le RCAM a été rejeté de justesse par le gouvernement précédent, lors de la dernière législature. Le nouveau gouvernement ne s’est pas encore engagé spécifiquement à appuyer ces réformes lors de la prochaine législature (bien qu’il l’ait fait précédemment), mais il a déclaré en campagne électorale qu’« il est clair que nous devons acheminer davantage de médicaments à moindre coût et d’autres fournitures et équipements médicaux vers les pays en voie de développement ».

Le nouveau gouvernement canadien devrait non seulement rectifier les défaillances du RCAM, mais également rejeter le PTP dans sa forme actuelle. Les dispositions de cet accord sont en contradiction directe avec le but d’améliorer l’accès aux médicaments pour les Canadien-nes et pour les personnes des pays en développement. Le Canada devrait :

  • s’engager à tenir une consultation publique complète sur le PTP, notamment une évaluation indépendante de son impact sur les droits humains (y compris l’accès aux médicaments), entre autres préoccupations;
  • refuser de ratifier le PTP tant qu’il contient des dispositions « ADPIC-plus » qui dépassent la portée des règles restrictives sur la propriété intellectuelle déjà adoptées à l’OMC; et
  • rejeter toute entente élargissant le système discrédité et dommageable de « résolution de conflits investisseur-État » à la propriété intellectuelle ou à d’autres lois et règlements relatifs aux produits pharmaceutiques, car cela permettrait à des sociétés pharmaceutiques d’enfreindre des règlements d’intérêt public dans ce domaine.

Quelles actions pouvez-vous entreprendre?