DÉCLARATION : REVERS POUR LES DROITS DES DÉTENU-ES ET LA SANTÉ PUBLIQUE

La présente déclaration est du Réseau juridique canadien VIH/sida. Les commentaires qui en sont extraits peuvent être attribués à Sandra Ka Hon Chu, directrice de la recherche et du plaidoyer.


Une cour indique que le refus de fournir du matériel d’injection stérile aux détenu-es peut constituer une atteinte à des droits de la Charte, mais elle refuse de conclure que les lacunes du programme actuel d’échange de seringues dans les prisons fédérales rendent celui-ci inconstitutionnel

1 mai 2020 – Déception devant la décision rendue aujourd’hui par la Cour supérieure de l’Ontario, qui a refusé de conclure que le programme d’échange de seringues en prison (PÉSP) actuellement mis en œuvre par le Service correctionnel du Canada (SCC) porte atteinte à des droits constitutionnels des détenu-es en n’étant pas conforme aux normes professionnelles reconnues pour de tels services de santé. La Cour a affirmé qu’il serait prématuré de poser cette conclusion, étant donné que le déploiement du programme actuel n’est encore que partiel et que le programme continue d’évoluer.

La Cour a bel et bien reconnu qu’au moment où nous avons intenté cette poursuite, il y a huit ans – alors que le SCC interdisait complètement la possession de matériel stérile d’injection par les détenu-es qui font usage de drogue –, des « arguments constitutionnels convaincants » appuyaient la demande d’accès à du matériel d’injection stérile en tant que « soin de santé essentiel », que le SCC est légalement tenu de fournir. Regrettablement, le juge qui a entendu l’affaire n’a pas proposé de solution pour résoudre ce refus de matériel d’injection stérile en tant que violation de droits garantis aux détenu-es par la Charte, bien que cela constitue un enjeu fondamental de l’affaire depuis le début. Ce refus est également un problème qui se poursuit pour les détenu-es d’au moins 75 % des prisons fédérales, où le PÉSP se laisse encore attendre.

Cette poursuite contre le SCC a été déposée en 2012 par le Réseau juridique canadien VIH/sida, avec l’ex-détenu Steve Simons, le Réseau d’action et de soutien des prisonniers et prisonnières vivant avec le VIH/sida, CATIE et le Réseau canadien autochtone du sida, pour contester le refus du gouvernement fédéral de fournir aux détenu-es un accès efficace – c’est-à-dire facile et confidentiel – à des programmes de seringues et d’aiguilles.

Notre action en justice a été le catalyseur final qui a conduit le SCC à introduire un PÉSP, ce qu’il avait refusé de faire sous les gouvernements successifs malgré des années de recommandations, notamment de ses propres comités consultatifs d’expert-es, et de données probantes de l’Agence de la santé publique du Canada. En mai 2018, poussé par notre procédure judiciaire de plusieurs années, le ministre de la Sécurité publique a engagé le SCC à mettre en œuvre ce programme dans toutes les prisons fédérales. Notre plaidoyer continu a également conduit le SCC à apporter des changements à son modèle initial afin de réduire certains obstacles à la participation. Comme le reconnaît le jugement rendu aujourd’hui, « la demande initiale, déposée en 2012, a soulevé d’importantes questions de santé carcérale et publique, et pourrait bien avoir incité le SCC à mettre en œuvre le [programme] » et « a entraîné certains changements positifs dans la conception ou le fonctionnement du [programme] » [trad.].

Or le programme actuel du SCC demeure gravement lacunaire en dépit de ces changements, car il viole la confidentialité des détenu-es à plusieurs égards, ce qui signifie qu’un grand nombre ne lui font pas et ne lui feront pas confiance. Dans son rapport de 2019 paru récemment, l’enquêteur correctionnel du Canada a critiqué la mise en œuvre du programme et recommandé que le SCC revoie le programme et ses critères de participation « en cherchant à nouer des liens de confiance, et qu’il examine ce qui se fait ailleurs dans le monde pour trouver des exemples de façons d’augmenter le taux de participation au programme et d’en améliorer l’efficacité ». De plus, le SCC n’a pas respecté les délais qu’il avait lui-même établis; et jusqu’ici la mise en œuvre du programme est terriblement inadéquate.

Steve Simons, notre codemandeur dans cette affaire, est un ex-détenu qui a contracté l’hépatite C dans une prison fédérale après qu’un codétenu ait utilisé son matériel d’injection à son insu. Réagissant à la décision d’aujourd’hui, monsieur Simons déclare : « Lorsque j’étais derrière les barreaux, j’ai été choqué de voir des gens s’injecter avec des seringues de fortune et usagées, qu’ils partageaient avec d’autres détenus. C’était tellement dangereux. Pendant des années, le SCC a refusé de fournir un accès adéquat à des programmes d’efficacité démontrée pour la réduction des méfaits. Avec le jugement rendu aujourd’hui, j’ai bien peur que les détenu-es demeurent sans accès à du matériel d’injection, ce qui signifie que l’on continuera à partager des seringues et des aiguilles. »

La décision d’aujourd’hui est un revers pour la santé des détenu-es et pour la santé publique. En l’absence d’un programme permettant un accès facile et confidentiel à du matériel d’injection stérile, la plupart des détenu-es au Canada sont encore exposé-es à un risque élevé – et évitable – de contracter le VIH, l’hépatite C et d’autres infections transmissibles par le sang, qui les suivront lorsqu’ils retourneront dans leur communauté. Les détenu-es sont également exposé-es à d’autres préjudices mortels liés au partage et à la réutilisation du matériel d’injection.

Nous demandons instamment au Gouvernement du Canada d’achever sans plus tarder la mise en œuvre du PÉSP dans toutes les prisons fédérales, de le rendre accessible à toutes les personnes incarcérées et de supprimer les caractéristiques du programme qui violent inutilement la confidentialité des détenu-es et rendent ainsi le programme largement inaccessible et inefficace. Cela permettrait de réduire le partage de seringues et la propagation d’infections inutiles qui en résulte. Cela sauverait des vies.

La lutte pour le droit des détenu-es à la santé n’est pas terminée. Nous examinerons les prochaines étapes possibles, y compris un éventuel appel de ce jugement. En dehors des tribunaux, le Réseau juridique canadien VIH/sida continuera son plaidoyer pour que le PÉSP du Canada soit déployé à l’échelle nationale et rendu efficace, accessible et confidentiel.

 

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Pour plus d’information :

Cliquez ici pour consulter un document de politiques et un feuillet d’information dissipant certains des mythes répandus au sujet des programmes de seringues et d’aiguilles en prison. Cliquez ici pour consulter le Rapport annuel de l’enquêteur correctionnel où sont signalés des problèmes dans la mise en œuvre du PÉSP actuel.

Vous pouvez lire plus d’informations au sujet de cette affaire, en consultant www.urgencesanteprison.ca/ et www.aidslaw.ca/lesprisons.

 

À propos du Réseau juridique canadien VIH/sida

Le Réseau juridique canadien VIH/sida (www.aidslaw.ca) fait valoir les droits humains des personnes vivant avec le VIH ou le sida et de celles qui sont à risque ou affectées autrement, au Canada et dans le monde, à l’aide de recherches et d’analyses, d’actions en contentieux et d’autres formes de plaidoyer, d’éducation du public et de mobilisation communautaire. Nous étudions les programmes de seringues en prison depuis plus de 20 ans et faisons partie des codemandeurs dans une action en justice contre le Service correctionnel du Canada, alléguant que le fait de refuser aux détenu-es l’accès à ce service de santé porte atteinte à leurs droits constitutionnels.

 

Contact

Emma Riach, agente des communications et des campagnes

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