Le Réseau juridique VIH a participé au fil des ans à diverses enquêtes sur le nombre croissant de décès dus à l’empoisonnement par des drogues dans les prisons de l’Ontario. À la suite d’une enquête menée en 2020 au Centre de détention d’Elgin-Middlesex sur la mort tragique de deux hommes empoisonnés par des drogues, le jury a adressé des recommandations cruciales et sans précédent au ministère du Solliciteur général de l’Ontario pour remédier à ces décès en prison. Les recommandations exhortent le ministère à « poursuivre le changement culturel » en intégrant une « approche non punitive de réduction des méfaits » et à respecter le « principe d’équivalence », c’est-à-dire le droit des personnes en détention d’avoir accès à un niveau de soins de santé équivalent à ce qui est disponible hors prison et conforme aux normes professionnelles acceptées.
Les autres recommandations incluent d’offrir sans délai le traitement par agonistes opioïdes (TAO) à toutes les personnes en détention qui y sont admissibles; de faire en sorte que la naloxone soit accessible dans les 30 secondes suivant une surdose d’opioïdes; et d’adopter les principes du bon samaritain afin de protéger contre toute enquête ou sanction pour possession de drogues les détenu-es qui appellent à l’aide ou qui tentent d’aider une personne en détresse médicale liée aux drogues. Le jury a également recommandé au ministère d’examiner d’autres stratégies de réduction des méfaits en prison, notamment la distribution dans les unités de soins de santé de trousses de détection du fentanyl et de matériel stérile pour l’utilisation de drogues. Toutes ces mesures contribuent à sauver des vies.
Ces recommandations ne sont pas juridiquement contraignantes, mais elles peuvent guider les autorités carcérales qui ont la responsabilité légale d’assurer la protection des personnes placées sous leur garde. Or, quatre ans après les recommandations, peu de choses ont changé et des personnes continuent de mourir de causes entièrement évitables en prison.
Des détenu-es ne peuvent pas poursuivre en prison le régime de TAO qui leur a été prescrit dans la communauté, en raison des longues listes d’attente et des préférences des prestataires de soins. Les autorités provinciales ontariennes ne sont pas dotées de politiques claires sur la naloxone et celle-ci n’est pas accessible dans les cellules. Aucune prison provinciale de l’Ontario ne fournit de matériel stérile pour l’utilisation de drogues, que ce soit par le biais d’un programme de seringues ou d’un service de consommation supervisée. De plus, fait troublant, il n’existe aucun système apparent de responsabilisation pour veiller à la prise en compte et à l’application des recommandations du jury – une véritable honte.
Nous savons que ces lacunes dans les services vitaux de soins de santé et de réduction des méfaits ne se limitent pas à l’Ontario. Ces deux dernières années, le Réseau juridique VIH a analysé les politiques et les pratiques en matière de soins de santé et de réduction des méfaits dans les prisons provinciales, territoriales et fédérales du Canada. Les conclusions sont sombres : aucun ressort ne respecte les normes internationales relatives à la prestation de soins de santé en prison. Ces normes incluent la prise en charge des soins de santé par les autorités sanitaires (et non carcérales); l’offre universelle du dépistage et de traitements pour les infections transmissibles sexuellement et par le sang (ITSS); et la mise à disposition et l’accessibilité du matériel pour des rapports sexuels plus sécuritaires (comme les condoms et le lubrifiant), de la naloxone, du TAO et de seringues stériles.
La plupart de ces normes sont respectées dans la communauté, mais leur application tarde dans les prisons.
Heureusement, nous observons des progrès notables dans certains ressorts. En Colombie-Britannique, par exemple, les soins de santé en prison sont à présent gérés par les autorités sanitaires provinciales, ce qui a conduit à une amélioration globale. L’amorce et la poursuite du TAO y sont également plus soutenues. Dans les prisons fédérales, l’amorce et la poursuite du TAO sont aussi offertes de manière plus systématique aux personnes qui en ont besoin et qui le désirent. Certains établissements fédéraux ont mis en œuvre des programmes de seringues et des services de consommation supervisée, ce qui pourrait réduire le risque de transmission du VIH et du VHC et de surdoses – à condition que les lacunes liées à leur conception soient corrigées.
Le Réseau juridique VIH publiera ses conclusions à la fin de 2024, dans l’espoir qu’elles fassent progresser le respect et la protection de la santé des personnes incarcérées au pays. Comme l’a noté un-e informateur(-trice) clé : « On est tellement en retard… Il y a beaucoup de travail à faire en réduction des méfaits… Je connais le milieu depuis longtemps – les services correctionnels, la santé mentale, les dépendances, et maintenant la justice. J’ai rencontré des âmes magnifiques; chaque jour où elles sont en vie est un miracle. Je vais faire tout ce que je peux pour m’assurer qu’elles sont en sécurité, car elles le méritent. Elles méritent la dignité. »
Le 10 août, nous commémorons la Journée de la justice pour les détenu-es et soulignons une fois de plus l’insuffisance persistante des soins de santé en prison. Le droit canadien et international reconnaît que les détenu-es ne perdent pas tous leurs droits du fait de leur incarcération. En cette journée, nous réitérons notre engagement à faire respecter les droits à la santé et à la dignité des détenu-es – des droits qui sont étroitement liés aux nôtres.