2 novembre 2015
L’épidémie de VIH en Russie et en Europe de l’Est connaît la progression la plus rapide au monde. Combinées, la Russie et l’Ukraine comptent plus de 85 pour cent des personnes vivant avec le VIH dans la région. Dans ce contexte critique, le Réseau juridique poursuit son travail avec ses partenaires sur le terrain afin de contester les lois et attitudes qui contribuent à la prévalence du VIH et pour protéger les droits humains des « populations clés » affectées par le VIH.
Les personnes qui s’injectent des drogues constituent l’une de ces populations clés. Alors que la consommation non sécuritaire d’opioïdes est largement associée à l’épidémie du VIH en Russie, le gouvernement interdit le traitement de substitution aux opiacés (TSO) par une loi criminelle. Or le TSO est une mesure de réduction des méfaits qui est recommandée par l’OMS, l’ONUSIDA et l’ONUDC, et largement utilisée depuis des décennies, aux quatre coins du monde, avec d’excellents résultats cliniques; il fournit aux consommateurs de drogues une substance de remplacement (comme la méthadone) sous supervision médicale. De telles interventions contribuent à réduire la fréquence de l’injection et la dépendance à des drogues illégales, réduisant ainsi le risque de VIH et de VHC pour les personnes qui s’injectent des drogues.
En réponse à des poursuites au criminel et à du harcèlement policier, trois braves militants russes de cette population – Alexey Kurmanajevskiy, Irina Teplinskaya et Ivan Anoshkin – contestent la prohibition du TSO, avec le soutien technique du Réseau juridique et de ses partenaires nationaux, la Fondation Andrey Rylkov pour la santé et la justice sociale ainsi que l’Association AGORA pour les droits humains. Après avoir utilisé tous les recours internes, les demandeurs se sont tournés vers la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), qui a transmis leur demande conjointe au gouvernement russe en mai 2014. La réponse de Moscou fut, sans surprise, que le TSO est une pratique médicale non sécuritaire qui conduit à des taux accrus de surdose. Au même moment, la CEDH a commencé à accepter des interventions de tierces parties (du Réseau juridique et d’autres intervenants), ce qui l’assure d’avoir accès à un corpus exhaustif de données probantes et à de solides arguments juridiques. La réponse du gouvernement russe a été une demande de report afin d’amasser d’autres informations. Quelques ONG russes progouvernement, qui promeuvent des approches fondées uniquement sur l’abstinence afin de traiter la consommation problématique de drogues ont également reçu le statut d’intervenants. Une fois reçus les mémoires de ceux-ci, Alexey, Irina et Ivan seront invités à présenter leurs commentaires à la Cour, ce qui devrait être la dernière étape avant l’audition de la question sur le fond.
Nous espérons que ces affaires conjointes concernant le TSO prolongeront les réussites que nous avons déjà marquées dans cette région. Par exemple, notre soutien technique dans l’affaire dénonçant la détention arbitraire du militant russe Denis Matveev a conduit à une décision phare. Pour la première fois de l’histoire judiciaire russe, la Cour constitutionnelle a reconnu que le Groupe de travail des Nations Unies sur la détention arbitraire devrait jouir du même respect que les agences onusiennes créées en vertu de traités internationaux sur les droits humains. Puisque ce Groupe de travail a conclu que l’arrestation et l’emprisonnement de Denis violaient le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, les autorités russes sont à présent tenues de revoir le cas à la lumière de ces nouvelles circonstances. Avec ses partenaires locaux, le Réseau juridique dépose l’affaire devant les tribunaux russes pour reconsidération.
Une autre victoire phare a été marquée, devant le Comité des droits de l’homme des Nations Unies, auprès duquel nous travaillons depuis 2011 aux côtés d’activistes de la Russie et de l’Ukraine. En avril 2015, le Comité a publié son premier document officiel faisant mention explicite des droits humains des personnes qui consomment des drogues en Russie et leur reconnaissant la protection du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Cette réalisation soutient notre travail dans la région et ouvre la voie à la soumission d’autres affaires stratégiques au Comité par les États de la région qui ne sont pas du ressort de la Cour européenne (par exemple, les pays d’Asie centrale).
Bien que notre travail en cours en Russie suive une approche centrée sur les personnes, en matière de politiques sur les drogues, nous prévoyons mobiliser ces réussites au service de réformes globales, plus générales, par le biais, en 2016, de la Session extraordinaire de l’Assemblée générale de l’ONU sur les drogues. (Pour plus d’information, consultez ce bref document d’information au sujet de l’UNGASS et des raisons pour lesquelles il s’agit d’un tournant; et lisez sur la nécessité de réformes, à www.StoptheHarm.org.)
Restez à l’affût d’autres nouvelles, sur la suite de notre travail avec nos partenaires en Russie – et autour du monde – pour que des politiques fondées sur des données probantes soient une priorité et pour qu’elles protègent la santé et les droits humains des personnes qui consomment des drogues.