Déclaration : Une décision confirme qu’il revient aux législateurs et législatrices d’agir pour mettre fin aux poursuites injustes et non scientifiques contre les personnes vivant avec le VIH

La présente déclaration est publiée conjointement par le Réseau juridique canadien VIH/sida (« le Réseau juridique »), la Coalition des organismes communautaires québécois de lutte contre le sida (COCQ-SIDA) et la HIV & AIDS Legal Clinic Ontario (HALCO).

7 août 2020 — Cette semaine, la Cour d’appel de l’Ontario a rendu sa décision dans R. c. N.G., une affaire dans laquelle un jeune homme vivant avec le VIH souhaitait faire appel de sa condamnation pour agression sexuelle grave au motif qu’il n’avait pas divulgué son sa séropositivité au VIH avant des rapports sexuels et ce, malgré qu’il ait utilisé un condom à chaque occasion. Il n’y avait pas d’allégation de transmission du VIH dans cette affaire, ni aucune preuve d’utilisation incorrecte du condom.

Nous avons comparu devant la Cour d’appel à titre d’intervenants lorsque l’appel fut entendu sur le fond, en février.  Nous y avons fait valoir que l’utilisation correcte d’un condom suffit, et devrait suffire, à éviter une poursuite criminelle sur la base de données scientifiques solides, d’une interprétation correcte du droit en vigueur, et de plusieurs motifs d’ordre public. Malheureusement, la Cour d’appel en a décidé autrement et a confirmé la condamnation de N.G.

La décision de la Cour souligne l’importance, pour le gouvernement fédéral, de proposer des modifications législatives au Code criminel afin d’empêcher le recours abusif à des infractions criminelles qui sont contraires à la science, mènent à des condamnations injustes et, en fin de compte, nuisent aux efforts de santé publique.

La décision du juge du procès et celle de la Cour d’appel s’appuient sur le jugement de 2012 de la Cour suprême du Canada dans l’affaire R. c. Mabior. Cette affaire est souvent interprétée comme signifiant que la loi exige en tout temps la présence d’une charge virale faible et l’utilisation d’un condom pour annuler une « possibilité réaliste de transmission du VIH ». Toutefois, la décision de la Cour suprême n’était pas aussi catégorique et reconnaissait que le droit pourrait éventuellement s’adapter.

Il est erroné d’insister sur le fait qu’une charge virale faible (c’est-à-dire que la présence du VIH dans l’organisme est significativement supprimée) et l’utilisation d’un condom sont toutes deux nécessaires pour écarter une possibilité réaliste de transmission du VIH. Depuis la décision de la Cour suprême, il y a huit ans, il est arrivé que des cours concluent, à la lumière des preuves scientifiques examinées, qu’une charge virale faible suffit à annuler une possibilité réaliste de transmission. Ceci reflète le consensus mondial selon lequel une personne ayant une charge virale supprimée ne peut pas transmettre le VIH par voie sexuelle, ce que l’on appelle également « Indétectable = Intransmissible ».

Il est temps que le droit rattrape la science pour reconnaître que l’utilisation du condom peut également annuler une possibilité réaliste de transmission du VIH.

Tel qu’il ressort de l’énoncé de consensus canadien de 2014 et de la plus récente Déclaration de consensus d’experts internationaux de 2018, des expert-es scientifiques des quatre coins du Canada et du monde entier s’entendent pour dire que « la transmission du VIH n’est pas possible lorsqu’un préservatif est utilisé correctement lors des rapports sexuels ». Au moins un tribunal canadien l’a déjà reconnu, en prononçant un acquittement sur la seule base qu’un condom avait été utilisé (dans une affaire de 2018 en Nouvelle-Écosse), ce qui signifie qu’il y a des décisions judiciaires incohérentes dans différentes parties du pays.

Le Procureur général du Canada et le Ministère de la Justice ont reconnu, en 2017, que la

« criminalisation disproportionnée » du VIH est un problème persistant qui contribue à la stigmatisation des personnes vivant avec le VIH et nuit au dépistage, au traitement et à la santé publique. En 2018, sur la base d’une étude exhaustive de la science et de la jurisprudence, le Procureur général a émis une directive aux procureurs fédéraux en vertu de laquelle il ne devrait généralement pas y avoir de poursuites pour non-divulgation alléguée de la séropositivité au VIH dans les cas où un condom est utilisé car la possibilité réaliste de transmission est improbable. (Cette directive ne s’applique que dans les territoires, pas dans les provinces).

La criminalisation persistante des personnes vivant avec le VIH — même quand des condoms sont utilisés — est discriminatoire et constitue une application excessivement large du droit criminel qui est néfaste pour la santé publique. L’injustice liée à la criminalisation des personnes vivant avec le VIH qui utilisent des condoms est exacerbée par les conséquences sérieuses d’une condamnation pour agression sexuelle grave, notamment une peine d’emprisonnement de plusieurs années, l’inscription obligatoire à vie comme délinquant-e sexuel-le et, dans certains cas, l’expulsion. Ces pénalités sont gravement disproportionnées pour un contact sexuel autrement consensuel lors duquel une personne a pris une précaution très efficace afin de réduire le risque de transmission du VIH à un niveau négligeable, voire nul. L’utilisation trop large du droit criminel a également des conséquences disproportionnées sur les communautés autochtones, noires et gaie, comme le reconnaît Justice Canada dans son rapport de 2017.

En juin 2019, le Comité permanent de la justice et des droits de la personne de la Chambre des communes a reconnu le besoin de reformer le Code criminel afin que cesse le recours aux dispositions relatives aux agressions sexuelles dans les cas de non-divulgation de la séropositivité, et limiter toute criminalisation aux cas de transmission réelle du VIH. La décision rendue par la Cour d’appel de l’Ontario signifie qu’il est d’autant plus urgent que le gouvernement donne suite à ces appels au changement et mette fin, grâce à des amendements législatifs, au recours non scientifique et injuste au droit criminel.

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